mercredi 24 août 2011

Si mes jours étaient aussi dangereux que tes nuits III

Se plaindre n’était pas dans sa nature. Elle leur souriait en leur révélant qu’il s’était exercé sur elle avant de perfectionner son art sur eux. Le banc crasseux qui accueillait ses confidences ne morflait pas à l’écho de ses inflexions cruelles et désabusées. Elle connaissait la douleur. Les éphèbes l’écoutaient comme la voix parfaite d’une pythie abstraite et délurée. Ils espéraient trouver une clé, une réponse à l’énigme qui leur tordait les entrailles, étincelantes lorsque l’un d’entre eux tombait, éparpillé par les combats de rue dans lesquels ils étaient jetés.

Ils couraient en tous sens, lestes et affutés comme des sportifs de haut niveau, voués à crever la gorge pleine de sang, sur les ruines du Diamant. Le quartier était leur, n’était l’ombre du Disjoncteur qui ruinait leurs après-midis de défonce pour venir les perforer dans les recoins des arrière-boutiques de luxe qu’ils avaient investi. Leur plaque ne les protégeait de rien, car ils étaient rayés des listes des bons et agrafés sur celles des mauvais, avec leurs portraits en quadrichromie sur les murs dévoyés. Ils étaient une cible. Une cible qui se défendait plutôt bien.

Elle leur racontait la fin du monde qui avait démarré dès l’enfance, pour elle comme pour lui. Elle leur expliquait comment la tension prenait corps en eux, comment elle en faisait des ombres qui annihilaient leur propre perfectibilité par la fusion prosaïque, à savoir : comment, les doigts baignant dans son sang à elle, il parvenait encore à désirer quelque chose. Quelque chose de plus. Ils se faisaient peur, en l’écoutant. Elle les faisait rêver tandis que ses apparitions à lui se faisaient plus rares, plus ardues, plus dévastatrices. Ils essayaient de se dire qu’il ne venait pas pour tuer au hasard, au détour d’un plaisir hargneux. Ils essayaient d’imaginer que ce ne seraient pas eux, les prochains à dégringoler comme des pantins, du ciel d’où patrouillaient maintenant, jour et nuit, les hélicoptères.

Même le Disjoncteur s’en étonna : ils se laissaient faire, ces garçons, se laissaient déchirer, défoncer, mutiler, anéantir, par ce cacique déliquescent qui n’appartenait, en définitive, qu’à elle. D’après ses observations, tout ce qu’ils désiraient, à leur âge, c’était ressentir leur vertige privé et indolent.

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