vendredi 25 novembre 2011

7 minutes pour un objet inanimé

Jan Rohlf, Along Comes Reality, from the series Strange Attractors




Dans l’habitacle de la voiture, la buée nous blinde
Contre toute
Agression extérieure

Depuis toutes ces heures que je te fixe
Et toi, même pas,
Un regard

(mais ça va changer)

Le jour se lève gris et bleu
Avec son cortège d’atrocités
Et toi

Je peux flairer ton malaise
Jusque dans les recoins
De ta peau

En dessous des vapeurs d’alcool
Et des cendres de cigarettes
Que tu m’as volées

(toute la nuit)

Quand je me penche vers toi
Vicieusement
Pour ouvrir la boîte à gants

Alors s’éclaire ton regard
Quand tu aperçois
Le calibre

Et je ne peux pas m’empêcher
De te regretter
Encore

Acérée
Percluse
D’appréhension et de désir

Je l'aurais voulu
Pour moi
Ce regard

mardi 22 novembre 2011

Ma thèque

Bon. Un braqueur en cagoule m'a menacé de mort (sociale) si je ne répondais pas à six questions sur un meuble. Quand j'ai vu à quel point il était déterminé à ruiner ma vi(e)rtuelle, j'ai décidé de capituler et de cracher tout ce que je savais sur ce meuble. Et ce meuble, c'est ma thèque. Lampe dans la figure, ampoule à filament 250 watts, même pas longue durée :
"Y'a quoi dans ta thèque?
- Euh, dans ma thèque, ben y'a des livres..."
Geste abrupte du braqueur qui ajuste l'abat-jour pour bien vous flinguer la rétine "...Ok, ok... oui alors, une majorité de romans, mais quand même, de la poésie, des bd, des essais, des trucs de socio du temps où j'étais étudiante, des guides de voyage, des livres de cuisine...
- Ta gueule! Question suivante : c'est quoi ton plan?
- Mon plan?
- Ouais, ton putain de plan, y'a toujours un plan."
Sourire mauvais du tueur qui s'asseoit.
" Mais j'ai pas de plan, enfin! Enfin... enfin peut-être que les bouquins les plus récents sont empilés sur les plus anciens et que les bd sont en bas, à cause du poids, mais... je...
- T'aurais pas rassemblé tous les livres de poche, pas vrai?
- Si mais..."
Rire mauvais du sconce...
" Vraiment foireux comme plan. Allez question suivante..."
...qui se lève, et déroule une peau de chamoix sur une table en formica...
 " On passe aux choses sérieuses." ...et en retire délicatement une lame de 12.
"Alors écoute-moi bien, saloperie : ils sont tous à toi, ces bouquins?
- Mais que... qu'est ce que vous allez me faire avec ça?
- A ton avis? Alors, ils sont à toi, ou pas?" La lame brille sous l'éclairage vif du plafond qui sent la cave.
" Non, non... non...
- Non?
- S'il vous plaît, je... laissez moi partir... je vous dirai tout ce que vous voulez savoir... mais laissez moi... y'en a... y'en a qu'on m'a prêté... y'en a... y'en a même qu'on m'a offerts... y'en a... qui sont à... je sais même pas à qui  y sont! ...et y'en a... y'en a que j'ai achetés."
Le braqueur crache par terre en signe de dédain. Il agite le bistouri à usage unique en acier inox pour les chirurgiens les plus exigeants, sous mon nez.
" Achetés. T'es vraiment qu'une raclure.
- Oui je sais. Je sais. Faut me pardonner... J'ai pas pu m'en empêcher. J'suis accro.
- Sale tox de merde. Et tu les as tous testés?
- Ou... oui.
- Putain, tu me fous la gerbe." Le braqueur se rassoit. Le ton est bas, sollennel. C'est pas le moment de déconner.
" Et la meilleure came, elle vient d'où?
- Me faites pas ça, je vous en supplie...
- De toutes façons t'es grillé. T'as aucune chance de t'en tirer. Si tu craches le morceau maintenant, ça ira vite. Sinon...
- Bon. Ok, ça va. Y'a un Japonais, il se fait appeler Murakami, mais on dit que ce type est un phantôme... On est pas sûr qu'il existe vraiment.
- Ouais, j'en ai entendu parler de ton Murakami. Il paraît qu'il peut se fondre dans la foule et ressembler à n'importe quel péquenaud.Genre, j'apprivoise le quotidien pour planquer le fantastique, l'enfoiré de sa mère. Et c'est tout?
- Quoi, c'est tout ?
- T'aurais pas un autre fournisseur dans ta manche là quelque part? Fais gaffe, si tu veux me doubler, faudra t'attendre à dire bonjour à mon p'tit pote le meilleur ami du chirurgien...
- Ok, ok. C'est bon, C'est bon. Voilà : y'a un Français.
- Je m'disais bien. Y'a toujours un Français dans l'histoire. Allez, crache.
- Il fait de la poésie.
- L'ordure.
- Mais il est mort.
- Merde. Putain, les morts, ils font chier. Allez donne toujours son nom. J'pourrais peut-être me taper les ayant-droits.
- Je pense pas non, ils sont très puiss..." Baffe dans la gueule.
" T'es pas là pour penser, saloperie! Allez crache! Crache!
- Eluard... Eluard... F'il vous plaît, arrêtfez... f'il vous plaît...
- J'arrêterai quand j'en aurai fini avec toi, sale merde! Eluard, bordel, j'aurais dû parier: y'a que les sacs à merde dans ton genre pour se farcir les surréalistes. "
Le braqueur tourne en rond comme un lion en cage. Il est chaud. Il ne va pas lâcher. Il attend de se calmer pour se rassoir, rajuste la lampe, par réflexe.
" Tu m'as pas tout dit, là.
- Quoi? Non. Si! Si, je vous ai dit tout ce que je savais!
- Non, non, non, chantonne le braqueur, il en manque un! Le book ultime, le truc qui te fait triquer ta race, genre île déserte, tu vois...
- Non. Laissez moi maintenant... Non.
- Hors de question, mon p'tit lapin! Si tu réponds pas, tu vas passer un sale quart d'heure, ça c'est garanti.
- Non.
- Mais c'est qu'il se rebelle, le bisounours. Alors tu veux goûter à mon acier inox pour professionnel exigeant? C'est ça que tu veux? T'es vraiment sûr?
- Va te faire mettre, braqueur.
- Bon." 
Vous voulez savoir comment tout ça s'est fini?
Cette nuit-là, j'ai eu de nouvelles hallucinations, je voyais la réalité, qui est le plus puissant des hallucinogènes. C'était intolérable. J'ai un copain à la clinique qui a de la veine, qui voit des serpents, des rats, des larves, des trucs sympas, quand il hallucine. Moi, je vois la réalité. Je me suis levé, j'ai allumé l'espoir, pour faire un peu clair et moins vrai. Une allumette je veux dire. N'avouez jamais.
 E. Ajar, Pseudo, p79.

Ceci est ma réponse à un petit jeu lancé sur Twitter et par lequel il nous est demandé de répondre à 6 questions sur notre bibliothèque personnelle et de relancer ces questions à 3 autres Twitteurs/euses.
Mais évidemment, tout le monde peux participer. Pour obtenir le libellé exact des questions en plus d'un exemple bien tourné, rendez-vous ici : http://alabergerie.wordpress.com/2011/11/21/tag-ma-bibliotheque/ Le braqueur se reconnaîtra...

lundi 14 novembre 2011

Cosmicomedia : le tome 3 est sorti

Il est assez invraisemblable de retrouver, au fin fond du cosmos, une entité comme le Baron Samedi. Car après tout, c’est un loa, c’est-à-dire un personnage terrien, issu et nourri de croyances terriennes. Et le voici, hôte attentionné de voyageurs lointains ; ceci peut mettre la puce à l’oreille. En plus, il a demandé, tout comme le nocher Charon, qu’on lui raconte des histoires. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Pendant ce temps, le Ciel continue de tomber sur la Terre, et les anciens dieux préparent un nouveau déluge. Lucas et ses amis, perdus au loin de toute normalité, vont maintenant être éduqués avant d’être relâchés. Mais relâchés où ?

Qui est, en définitive, le Baron Samedi ? Pourquoi entraîner des touristes à devenir des athlètes imperturbables ? Dans quel pétrin nos héros vont-il, d’un coup de pouce divin, finalement être fourrés ? Pour y faire quoi ? Et Niko, appelé à vivre « dans un lieu bien triste, seul plus longtemps qu’aucun être humain », qui le consolera et quel sera ce lieu ?

Cosmicomedia tome 3 apporte évidemment des réponses à ces quelques questions qui, somme toute, sont un petit peu annexes, mais aussi et surtout il cloue le bec à la fatalité de notre époque : la bataille, la peur et la colère, la destruction et l’échec, la complication croissante de toute chose… ne tiennent pas devant ce qui, au bout du compte, ne peut qu’émerger.

Vous verrez des gens chanter au milieu des bombes, et boire du champagne ; il y aura des insectes énormes et attentifs, une invraisemblable collection de monuments, un cauchemar qui se matérialise, une tempête qui repliera l’un sur l’autre deux endroits très éloignés, et qui pilonnera une île envahie de singes naufragés galopant par les rues et les sentiers, couverts de mousse savonneuse et le cœur rempli de fureur indignée (tiens tiens). Vous visiterez les arcanes, vous toucherez du doigt le code des choses, mais aussi vous contemplerez en leurs démesures les agissements d’un cactus fou et de divers ministères sans foi. Et en plus de tout ça, il y a une bibliographie car ceci est un livre sérieux, qui vous mettra le nez dans la plus intense des contradictions de notre époque. Dénouez-la.

Extraits en ligne
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