dimanche 28 août 2011

Le pépiement des femmes frégates sorti cette semaine chez ELP éditeur

Prenons de la hauteur, pour cette rentrée, et filons à travers deux siècles au-dessus de la Province de Kébek – anciennement colonie du Bas-Kanada – entre le lit de la Rivière Mille-Berges et celui du Fleuve Montespan. Le pays est merveilleusement croqué par Paul Laurendeau dans son nouveau roman, le fantastique Pépiement des femmes-frégates, qui est un récit de rencontres surnaturelles, quand le monde se partage entre individus pourvus ou dépourvus d’ailes.

Et d’abord, mais qui sont-elles, ces femmes-frégates ? Eh bien, en premier, elles sont furieusement belles. Peau rouge vif, silhouette humaine élancée, ailée de noir : de l'image du diable Paul Laurendeau s’est emparé et a réalisé des figures hiératiques et subtiles, dont la puissance visuelle n’a d’égale que leur virtuosité au vol. Elles constituent une espèce particulière qui vit sur les hauteurs, au-dessus du monde des hommes qu’elles côtoient, avec intelligence. Bien entendu, les femmes-frégates ont leurs mâles, négatifs des femelles en leurs couleurs, mais équivalents en beauté ; ils sont cependant subordonnés à leur gouvernance. Cette société est douée d’une forte cohérence bien ancrée dans la tradition complexe, et la langue, essentielle, imaginées par Paul Laurendeau, mais souffre de problèmes démographiques. C’est ici qu’interviennent les hommes et femmes sans ailes, vous l’aurez deviné, nous, pauvres humains.

Surprenants, ces humains, inattendus. Dans un monde comme celui de Laurendeau, ils se montrent souvent effrayés bien sûr, par ces apparitions qui ont de quoi choquer quelques chrétiens, mais ne cherchent pas pour autant à détruire l’espèce volante, qui les fascine au moins autant qu’elle les émerveille, alors que les femmes-frégates les enlèvent pour les chahuter à l’occasion de leur fameuses chasses-galeries. Il en découle des relations particulières, marquées par la curiosité et le respect mutuels. C'est rare et précieux, même dans la littérature.

Planez donc, et mélangez-vous. Sans vouloir trop en dire, seulement assez pour dévoiler quelques magnifiques couples en embrasements. C’est clair : le potentiel de séduction des hommes et femmes frégates joue en cela beaucoup et fait pas mal rêver… les hommes et les femmes sans ailes. Pas de dominance hétéro-normée, par ailleurs, on respire ! Ainsi les genres se partagent et se fondent entre eux, sans valorisation d'un modèle au détriment d’un autre. C'est un éloge à la rencontre et au non conformisme, qui refuse la punition à ceux et celles qui s'engagent du côté de la voie de l'amour étrange(er). Encore une fois, découvertes, curiosités, respect, malgré l’intrigue qui met en péril une espèce, tout de même.

Et c’est ici ce en quoi ce livre tient le plus du merveilleux. Une cohabitation possible. Une alternative à une sordide réalité qui exploite et détruit l'altérité. En ceci, il faut relever que Laurendeau est proche de la proposition d'Allan E Berger dans Cosmicomédia, roman trilogique, total et fantastique, mais dans un tout autre genre, à découvrir l’automne prochain chez ÉLP éditeur. Ce sont deux auteurs qui font des essais de l’espoir, lui rendent ses lettres de noblesse, sans faire de bon sentiment.

Paul Laurendeau, en distribuant les rôles, a fait enfin du langage un personnage de premier plan, sur plusieurs perspectives. Langage passerelle entre frégates et sans ailes, langage enjeu de pouvoir à l’intérieur d’une même communauté, langage symbole des relations de genre quand les truchements se conjuguent au masculin. Autre prouesse de ce linguiste de métier, il a fait le choix de l’authenticité en travaillant avec la langue québécoise, amplement, sans concessions. Résultat : une véritable découverte pour les non-initiés, et des perles langagières pour les gens du cru. Dans les deux cas, la poétique de cette langue épate et confère à son récit une dimension supplémentaire, immersive. On ressent mieux encore la région elle-même, son climat, ses forêts, ses rivières, ses villes, ses gares (aux tours fameuses) et ses cimes abruptes qui sont les territoires des extraordinaires femmes-frégates. C'est une langue qui se prête à l'imagerie et aux sens, une langue immédiate, qui sait se faire entendre et accepter.

Les femmes-frégates prennent ainsi leur envol à la fin de l’été, ciselées par un homme sans ailes, mais qui, c’est certain, passa du temps en leur compagnie sur les sommets de pierre qui les abritent, à écouter leurs voix soyeuses aux énigmatiques pépiements. À prendre au vol, absolument.

Pour lire un extrait c'est ici
Le livre est accessible chez Immatériel  ici

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